Point de vue limité : 4 erreurs à éviter
Le point de vue limité est un point de vue très utilisé dans les romans contemporains. Il s’agit d’écrire des scènes en se limitant (comme son nom l’indique) au point de vue d’un seul personnage. Ce personnage point-de-vue peut être le même dans toutes les scènes du roman ou il peut changer d’une scène à l’autre. Mais l’idée est la même que ce soit à l’échelle de la scène ou du roman en entier.
Cela permet de créer une connexion privilégiée entre ce personnage et le lecteur.
Par conséquent, en point de vue limité, on ne doit inclure que ce à quoi le personnage point-de-vue a accès :
👉 en interne : ses pensées, sensations, émotions, souvenirs, savoirs.
👉 en externe : ce qu’il voit, entend, sent, goûte, touche, dit.
Et c’est tout !
Mais ce n’est pas toujours facile de s’en tenir à cela pour raconter toute une histoire. Et, dans mes bêta-lectures, je vois souvent des erreurs de point de vue.
Je vous en explique quatre dans cet article.
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1. Les présages et les prédictions au point de vue limité
Ce premier cas ressemble à :
« Elle ne savait pas que ce serait le dernier café de sa vie. »
C’est un procédé pratique et efficace pour créer du suspense et c’est tentant pour une fin de chapitre. Mais malheureusement, il est réservé aux narrateurs omniscients, c’est-à-dire ceux qui savent tout sur le monde entier, passé, présent et futur et sur tous les personnages.
Si toute votre histoire est du point de vue limité d’un personnage, alors cette prédiction crée une incohérence car, par définition, le personnage ne savait pas. Cela risque de sortir le lecteur de l’histoire.
Des alternatives peuvent être de montrer le personnage :
👉 émettre un doute « Et si c’était le dernier café de ma vie ? »,
👉 avoir une intuition « Je ne sais pas pourquoi, mais j’ai peur que ce soit le dernier café de ma vie. »,
👉 faire une blague « J’espère bien que ce ne sera pas le dernier café de ma vie, non mais oh ! »
👉 ou bien, à l’inverse, montrer un espoir (qui sera brisé plus tard) « À tous les cafés que nous prendrons ensemble ces vingt prochaines années, dit-elle en levant sa tasse. »
2. La plongée rapide et floue dans un autre personnage
Dans ce second cas, on a, par exemple, un dialogue entre A et B, du point de vue limité au personnage A et soudain :
« B luttait contre elle-même et se demandait comment réagir. »
Là, c’est flou, car on peut se dire que A voit cela sur son visage ou alors interprète la réaction de B de manière correcte (ou pas d’ailleurs).
Mais il peut aussi s’agir d’une erreur de point de vue, car A ne peut pas savoir de manière certaine ce qu’il se passe dans la tête de B. En tant que lecteur, on bascule dans la tête d’un autre personnage, on « perd » notre connexion avec A.
Des alternatives :
👉 décrire ce que le personnage point-de-vue voit : expressions du visage, gestes.
👉 faire dire à l’autre personnage ce qu’il pense et ressent.
👉 écrire le monologue intérieur du personnage point-de-vue qui essaie d’interpréter ou de deviner ce qu’il se passe dans la tête de son interlocuteur.
👉 ajouter « sembler » ou « paraître » pour montrer que le narrateur reste du point de vue du personnage A.
3. Les informations invraisemblables pour un point de vue limité
Au point de vue limité à un personnage, on ne peut écrire que ce que le personnage sait, avec les mots qu’il connait. Souvent, cela ne correspond pas exactement à ce que sait ou à la manière dont s’exprime l’auteur !
Dans ce troisième cas, par exemple, si votre personnage, Parisien depuis sa naissance, comptable et passionné par l’art contemporain, décrit les vaches qu’il voit dans un champ en conduisant sur une route de campagne en pensant :
« Oh, des limousines à la robe froment vif ! »
c’est plutôt invraisemblable. Le lecteur va alors soit être surpris et sorti de sa lecture, soit il va penser à un indice glissé là intentionnellement et va partir vers une théorie de double vie ou de passé (ou passion) caché pour ce personnage et cela va diluer son attention pour rien.
À l’inverse, le procédé est intéressant si le but est justement de révéler une facette cachée du personnage !
Il n’y a pas vraiment d’alternatives ici. Ce point en particulier peut faire l’objet d’une analyse en amont (quelles sont les différences et les similitudes entre le personnage et l’auteur ?) et d’une relecture pour s’assurer que le vocabulaire et les savoirs sont adaptés.
4. La triche pure 😆
J’avoue que celui-ci m’amuse beaucoup parce qu’on sent le moment de désespoir de l’auteur, qui écrit subitement une demi-page d’un point de vue complètement différent, juste parce que ça l’arrange bien. Souvent, il a besoin de donner des informations aux lecteurs pour créer du suspense, rendre l’histoire cohérente ou expliquer ce qui arrive au personnage point-de-vue.
Mais l’astuce se voit un peu trop et le passage a l’air d’un cheveu sur la soupe, comme s’il sortait tout droit d’un autre roman.
Des alternatives :
👉 Utiliser les prologues et épilogues (de tout le roman et même des grandes parties) pour le faire, car le changement de point de vue en fait partie intégrante)
👉 Utiliser une astuce un peu plus subtile et intégrée dans l’histoire :
➖ une transition vers le récit d’un tiers,
➖ des extraits de lettres, de journaux, de vidéos, …
➖ rajouter des scènes du point de vue incohérent, jusqu’à ce que cela fasse partie de la structure du roman.
En conclusion,
choisir le point de vue de son roman doit être réfléchi et intentionnel pour éviter les frustrations ensuite à l’écriture ou même les blocages si la narration devient impossible.
Ensuite, en phase de réécriture de votre roman au point de vue limité, identifier les petites erreurs de point de vue est essentiel pour assurer une lecture fluide et cohérente à vos lecteurs !