N’oubliez pas d’inviter votre lecteur dans votre roman !

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Aujourd’hui, j’aborde un sujet qui fait mal ! C’est un retour que je fais souvent en bêta-lecture et qui peut poser une question un peu plus profonde qu’une simple remise en cause des techniques de narration.

Il arrive souvent que, trop pris par son histoire, l’auteur en oublie d’y inviter le lecteur. Il peut oublier qui est le lecteur et aussi pourquoi le lecteur a choisi de lire ce livre.

Alors, avec cet article, je voudrais vous rappeler d’inviter votre lecteur dans votre roman et vous donner des pistes pour le faire.

1. Comment ça, inviter le lecteur ?

Si vous souhaitez être lu, alors il faut écrire pour vos lecteurs. Et quand on décide d’écrire un livre, c’est souvent parce qu’on veut s’exprimer, être vu, écouté et compris.

Mais le lecteur, lui, quand il choisit de lire un roman, qu’est-ce qu’il veut ? Peut-être qu’il veut être ému, diverti ou distrait ? Peut-être qu’il veut rêver, s’évader, découvrir des façons de vivre qu’il ne connait pas ? En tout cas, il recherche une expérience de lecture et vous, l’auteur, vous devez la construire pour lui. C’est ça le contrat.

C’est à vous d’attirer les (bons) lecteurs dans votre histoire, de les prendre par la main et de leur présenter votre monde et vos personnages. C’est à vous, l’auteur, de créer une expérience de lecture qui donne envie au lecteur de rester dans votre histoire.

Et c’est là qu’il peut y avoir un paradoxe : en tant qu’auteur, vous voulez vous exprimer ou vous voulez explorer votre imagination, mais le lecteur n’est pas là pour vous voir, vous, l’auteur. Il est là pour lui et pour les émotions que vous allez lui faire vivre. Et honnêtement, il s’en fiche un peu de vous, la personne qui est derrière les mots. Combien de fois avez-vous lu un roman sans vous demander une seule seconde qui était l’auteur et quel parcours de vie il avait eu ? Sans vous demander pourquoi il était passionné par tel ou tel sujet ?

Alors n’oubliez pas cette mission essentielle de l’auteur : inviter le lecteur dans votre monde, l’accueillir et le guider en vous assurant qu’il passe un bon moment dans votre histoire, parmi vos personnages.

Parce qu’il ne vous doit rien et qu’il n’est pas obligé de vous suivre. A chaque phrase que vous lui proposez, il peut poser son livre et aller faire la vaisselle.

2. Trois invitations (ou trois pièges à éviter)

a. Donnez-lui toutes les informations (ou ne laissez pas la moitié des informations de la scène dans votre tête)

La scène a peut-être tourné dans votre tête des dizaines de fois, mais pour le lecteur, elle est toute nouvelle et il ne la lira sûrement qu’une seule fois. Donnez-lui toutes les informations dont il a besoin pour la comprendre !

N’en laissez pas la moitié dans votre tête. Sinon, la lecture sera pleine de confusions et deviendra peu intéressante. Le lecteur n’aura pas assez d’éléments pour être emporté et vivre les émotions de la scène. Tous ses efforts, pendant la lecture, iront à comprendre qui est là, ce qu’il se passe, le lieu et le moment de la scène et comment fonctionne le monde du roman.

👉  Par exemple, vous avez en tête tout un monde de fantasy depuis que vous avez 14 ans. Vous décidez de le mettre sur le papier, mais, dans votre élan, vous ne donnez pas toutes les clés au lecteur. Vous racontez l’histoire, comme s’il savait déjà comment fonctionnait cet objet magique ou quelles étaient les règles du gouvernement de ce monde sous-marin.

Du coup, les effets de vos scènes peuvent ne pas fonctionner pour deux raisons :

-> Soit le lecteur passe son temps à essayer de comprendre la scène : qui est là ? Que veut dire ce mot inventé ? De quel événement bizarre parlent les personnages ?

-> Soit les obstacles ou les résolutions ne semblent pas crédibles car un objet dont on n’a jamais entendu parler avant règle tout le problème d’un coup ou alors une règle surprise sort de nulle part et devient le principal obstacle du protagoniste.

b. Sachez pour qui vous écrivez (ou n’excluez pas le lecteur avec trop de jargons, de private jokes, ou de sous-entendus incompréhensibles)

Écrivez-vous pour le grand public ? Pour votre famille ? Pour vous-même ? Qu’est-ce que vos lecteurs savent du monde de votre histoire ou de ses personnages avant de commencer la lecture ?

Vous pouvez même vous demander pourquoi vous écrivez cette histoire.

👉 Par exemple, si tout le livre a pour but d’envoyer se faire voir vos anciens employeurs harceleurs, en alignant les anecdotes toxiques, remplies de jargons alors le grand public n’est peut-être pas la bonne cible ! Le risque est d’avoir des scènes sans suite logique qui ont pour but d’exposer des méthodes discutables, et pas une histoire.

Dans la vraie vie, on a tous des blagues « entre nous » ou des références à des souvenirs marquants qui font irruption dans une conversation avec un proche. On utilise du jargon ou bien des expressions locales. Mais dans un roman, il faut que tout cela soit construit dans les personnages, dans l’univers narratif ou utile à l’intrigue. Le lecteur doit se sentir le bienvenu dans le monde de l’histoire et parmi les personnages.

Si, à la lecture, on a l’impression qu’il y a des sous-entendus qu’on ne comprend pas, des références à des événements qu’on ne connait pas, des sortes de clins d’œil à quelqu’un (pas au lecteur) et des blagues qui tombent à plat pour nous, car ce sont des private jokes, alors c’est désagréable. On se sent extérieur à l’histoire, comme si on la regardait de loin, ou que l’on s’incrustait dans une soirée où l’on n’est pas vraiment le bienvenu.

L‘auteur risque de ne pas offrir son monde aux lecteurs d’une manière compréhensible. Il crie « regarde, regarde, ce qui m’est arrivé ou à quel point on est cool ! », mais sans réussir à se mettre à la place du lecteur qui, rappelons-le, est là pour passer un bon moment de lecture.

c. Offrez une vraie expérience de lecture immersive (et pas un flux de pensées et d’émotions)

On peut être tenté de déverser sur la page blanche toutes ses pensées et ses opinions. Après tout, on écrit à partir de ça, non ? De tout ce que l’on a dans la tête, un peu comme enfin parler sans être interrompu et peut-être même être lu et compris, de l’autre côté. Souvent, on peut se perdre dans les mondes intérieurs des personnages, leurs émotions et opinions et perceptions du monde.

👉 Dans ce cas, quand les paysages intérieurs sont le focus de l’histoire, l’auteur qui n’invite pas son lecteur ne fait pas l’effort de construire le décor dans lequel évolue les personnages. On ne sait parfois pas leurs noms, pas leur métier, on ne sait pas à quoi ils ressemblent, s’ils ont un entourage, à quoi ressemblent les lieux dans lesquels ils évoluent, d’où ils viennent. On flotte dans des pensées et des émotions.

Le lecteur se retrouve un peu le thérapeute forcé de l’auteur, plongé dans le monde intérieur d’un narrateur flou (ou de ses personnages-miroirs), alors qu’on nous avait vendu un roman ! Un roman, avec des personnages et une histoire et un monde entier construit grâce à des lettres sur du papier blanc. Mais on a un flux de pensées et d’émotions jeté avec l’espoir que quelqu’un le reçoive.

Dans ce cas, on peut se poser la question du genre du livre. Il est possible qu’on tende davantage vers le journal ou des mémoires ou même peut-être un essai. En changeant le genre du texte, on peut trouver les lecteurs qui ont des attentes correspondantes en termes d’expérience de lecture.

En conclusion

Demandez-vous si vous faites bien l’effort d’inviter votre lecteur dans votre roman ou si vous écrivez en restant un peu trop centré sur vous, l’auteur. Imaginez votre lecteur, qui il est, pourquoi il choisit de lire votre histoire, ce qu’il en attend.

Si vous vous reconnaissez dans ces cas de figure, pas de panique !

Passez du temps à construire votre histoire sur le papier pour le lecteur, à écrire même ce qui vous semble évident, à créer une expérience sensorielle et immersive pour enrober votre idée centrale, le message que vous voulez faire passer, ou les expériences vécues sur lesquelles vous basez votre roman.

Et, surtout, n’oubliez pas que le lecteur a des droits :

LES DROITS IMPRESCRIPTIBLES DU LECTEUR

  1. Le droit de ne pas lire.
  2. Le droit de sauter des pages.
  3. Le droit de ne pas finir un livre.

Comme un roman, Daniel Pennac