L‘Intelligence Artificielle pour écrire un roman

J’ai passé plus d’une centaine d’heures à bêta-lire des romans générés et/ou édités par l’Intelligence Artificielle et j’ai envie d’en parler !

Dans le cadre de mon activité de bêta-lectrice, j’ai commencé à recevoir des romans produits en partie par l’Intelligence Artificielle il y a un peu plus d’un an et, depuis, je suis en pleine réflexion sur ce grand changement dans le monde de l’écriture de fiction.

En juin 2024, j’avais déjà écrit un article sur le sujet : Mes réflexions (torturées !) sur l’IA dans mon travail.

Mon intention, aujourd’hui, est de parler de ce que je vois dans mon métier, et non d’analyser les effets à plus grande échelle de l’IA, ni de parler du principe en lui-même au niveau éthique. Je m’en tiens à ce que je connais et vois au quotidien.

Dans cet article, je vous explique ce que je constate de l’impact de l’utilisation de l’Intelligence Artificielle pour écrire un roman :

👉 dans l’histoire elle-même,

👉 dans le style de l’auteur,

👉 et je termine par l’état de mes réflexions sur le sujet.

l'Intelligence Artificielle pour écrire un roman

Photo de Lorenzo Gerosa sur Unsplash

1. L’utilisation de l’Intelligence Artificielle pour écrire un roman

Dans l’ensemble, les algorithmes d’IA respectent les règles narratives. On retrouve des intrigues classiques composées de moments-clés à la structure plutôt bien proportionnée. Au niveau des scènes, techniquement, elles fonctionnent avec un début, un milieu et une fin marquée, le tout tissé par un fil conducteur, avec un bon équilibre entre les différents outils narratifs.

Mais :

👉 La progression de la tension est toujours étrange. Par exemple, très souvent, des scènes donnent une impression de tension extrême, et donc d’être le climax du roman, alors qu’elles ne le sont pas. C’est déstabilisant à la lecture et cela vient probablement de la génération séparée des différentes scènes qui ne permet pas une maîtrise de la tension progressive tout au long du roman.

👉 Pour la même raison, à mon avis, il y a de nombreuses incohérences entre les scènes. Cela crée une impression de manque de « tissage serré » de l’intrigue et de manque de cohérence des personnages. Il y a également peu de préparation/paiement et de transitions entre les scènes qui sont finalement assez isolées les unes des autres. Enfin, il y a des incohérences simples, avec par exemple des ingrédients un peu absurdes sur une table de petit déjeuner.

👉 L’élément suivant est encore plus flagrant : c’est le changement de genre au fil de l’histoire, comme si l’IA changeait de référentiel en cours de route. J’ai vu, par exemple, un roman de taille moyenne commencer comme une histoire de reconstruction de la vie d’une femme après une séparation, pour aller vers une romance dans laquelle aucun des éléments précédents n’étaient pris en compte (séparation difficile et enfants à charge) pour, à la fin, se transformer en un roman fantastique avec un fantôme et un mystère à résoudre mais sans aucun lien avec le reste. C’était vraiment comme si l’IA était passée de codes de genre et d’un plan classique à l’autre sans s’en rendre compte.

👉 Enfin, à prompts similaires, histoires et scènes similaires. J’ai, en effet, retrouvé des scènes presque identiques dans trois romans différents. Et c’est vrai que certaines scènes sont iconiques d’un genre et que ce n’est pas rare de retrouver des jalons identiques dans les histoires. Mais ici, je parle des mêmes descriptions des gestes des personnages, des mêmes plans des lieux, des mêmes situations avec les mêmes objectifs, les mêmes enjeux et les mêmes résolutions spécifiques.

2. Le style créé par l’utilisation de l’Intelligence Artificielle pour écrire un roman

ChatGPT ne fait pratiquement pas de fautes d’orthographe (ce qui est suspect d’entrée quand je lis un premier brouillon !), et en soi, c’est plutôt un avantage. Les phrases sont techniquement correctes.

Mais :

👉 Sa voix est très reconnaissable. Elle camoufle complètement la voix de l’auteur. Et après pas mal d’années de bêta-lecture à plein temps, je peux affirmer que l’on entend toujours une voix spécifique dans un premier brouillon écrit par un humain. On perçoit une personne, ce qui n’est pas le cas avec ChatGPT. Peut-être qu’à terme et avec les bons prompts, cela pourra être personnalisé et peut-être que différentes IA auront des voix différentes. En l’état de mon expérience actuelle, je n’ai jamais réussi à percevoir une vraie personne derrière le style, comme avec les autres manuscrits.

👉 Cette voix a des tics de langages :

  • Elle utilise beaucoup le participe présent (peut-être une sorte de traduction des verbes en -ing anglais ?)
  • Elle utilise aussi beaucoup de propositions qui commencent par un participe passé.
  • Elle fait beaucoup de métaphores qui ont l’air profondes mais qui ne le sont pas tant que ça.
  • Elle utilise des symboles mais elle les explique platement, ce qui enlève tout l’intérêt.
  • Les descriptions des lieux sont souvent étranges et j’ai encore du mal à les expliquer autrement qu’un peu « planantes ».

3. L’état de mes réflexions sur l’utilisation de l’Intelligence Artificielle pour écrire un roman

Finalement, la meilleure façon d’expliquer où j’en suis dans mes réflexions de l’utilisation de l’IA dans mon métier de bêta-lectrice est la métaphore suivante.

J’ai l’impression que le palier franchi avec l’IA est similaire à l’invention des machines pour produire de la vaisselle de manière industrielle, alors qu’avant toute la vaisselle était produite en utilisant un tour de potier.

Si je sais utiliser un tour de potier et que j’aide des potiers débutants, alors je peux leur faire un retour sur leur travail en regardant le mug qu’ils viennent de faire.

Je sais repérer les imperfections, comprendre d’où elles viennent (placement des mains sur l’argile, trop ou pas assez d’eau, etc.) et je peux donner des conseils sur comment améliorer encore le mug pour qu’il ressemble vraiment au projet du potier débutant (forme, émail, etc.)

Mais si quelqu’un vient me voir avec une tasse Ikéa avec des défauts ou un style fade et lisse, mes conseils n’aideront pas, parce que quoi je dise, je ne sais pas paramétrer les machines géantes utilisées pour produire de la vaisselle en grandes séries.

Alors, je suis toujours démunie face à ces textes, parce que même si je donne mes conseils habituels, ils ne seront pas pertinents (car l’origine du problème ne sera pas le bon) et je les donne probablement à quelqu’un dont ce n’est pas le projet de les retravailler sans IA. Donc j’ai l’impression de travailler dans le vide.

Ce qui serait utile, ce serait de donner des conseils concernant les prompts à utiliser pour générer un roman avec l’IA. Et ce n’est pas un travail que je veux faire (ou que je sais faire !)

En conclusion

Les deux projets – écriture avec ou sans IA – me semblent totalement différents et je pense que l’utilisation (ou la non-utilisation) de l’IA devrait être signalée pour ne pas induire les lecteurs en erreur sur ce qu’ils achètent et ce qu’ils vont lire. J’en profite pour vous mettre un lien vers le Label Création Humaine soutenu par mon partenaire Librinova.

Dans le cadre de mon travail, bêta-lire une histoire générée par IA est une prestation complètement différente que je ne propose pas.

3 réponses
  1. Christine
    Christine dit :

    Je crois que l’IA ne peut pas exprimer la pensée, l’expérience de la vie, la sincérité d’une personne et certainement pas une émotion humaine, en fait je suis sûre qu’elle ne le peut pas. Merci Laure pour ton analyse.

    Répondre
  2. Giani
    Giani dit :

    Voilà pourquoi je n’utiliserai jamais l’IA. En plus du fait que c’est malhonnête vis à vis du lecteur, lectrice. Merci d’avoir pointé ici toutes les faiblesses de cette technique, qui n’est en rien de la création.

    Répondre

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