Enrichir votre narration avec des épigraphes méta et extra diégétiques
Aujourd’hui, je voudrais me (et vous !) plonger dans les petits extraits que l’on trouve surtout dans les romans du genre de l’imaginaire, en tête de chapitre.
Ces passages apparaissent souvent dans les romans que je bêta-lis. Parfois, ils sont bien utilisés et parfois, ils créent plus de confusion qu’autre chose !
Alors, j’ai eu envie de me pencher sur le sujet avec trois questions :
👉 Est-ce que ces extraits peuvent/doivent changer le cours de l’histoire ?
👉 Qu’attend le lecteur en lisant ces extraits en italique ?
👉 Y a-t-il une « bonne manière » de les utiliser en narration ?
Et pour répondre à ces questions, j’ai exploré deux concepts : les épigraphes et la diégèse.
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1. Les épigraphes
D’abord, les courts extraits en début de livre et/ou en début de chapitre s’appellent des épigraphes. Il s’agit souvent de citations, mais on peut aussi trouver des éléments statistiques, des extraits de journaux/médias, et dans le cas de romans de Fantasy, des extraits fictifs de livre sacré ou de légendes par exemple.
Elles permettent d’enrichir la narration en apportant des informations supplémentaires aux lecteurs. Elles éclairent un thème, permettent de placer l’ouvrage dans un courant littéraire (comme un hommage), développent l’univers narratif (son passé, son système de croyances ou d’autres lieux du monde) et peuvent aussi développer un personnage, par exemple en insérant des informations sur son passé ou sa famille.
Alors, quelle est la place de ces épigraphes dans l’histoire ? Doivent-elles être juste un bonus, que l’on pourrait supprimer sans changer l’histoire ? Ou sont-ils plus que cela ?
2. La diégèse : intra-diégétique, méta-diégétique ou extra-diégétique (à dire très vite 5 fois !)
a. Définitions
La diégèse contient tout ce qui fait partie de l’histoire racontée : les personnages et leur intrigue.
Un extrait intra-diégétique est donc une scène de l’intrigue de votre roman avec les personnages qui vivent leur vie de personnage en direct.
Un extrait méta-diégétique est un second niveau fictif de narration : cela peut être une histoire dans l’histoire (rêve, récit raconté) ou une bulle/un plan différent contenant le narrateur fictif par exemple.
Un extrait extra-diégétique est un extrait qui ne fait pas partie de l’intrigue des personnages. Ces éléments ne sont destinés qu’au lecteur.
b. Des exemples pour y voir plus clair
De manière générale :
👉 Une chanson qui passe à la radio et que votre personnage chante dans sa cuisine est un élément intra-diégétique.
👉 Dans un film, une musique de la bande-son que le public entend, mais que le personnage n’entend pas est un élément extra-diégétique.
👉 Un narrateur (Zeus, par exemple) qui raconte l’histoire à partir du monde des Dieux et qui n’entre jamais en contact avec les personnages est un narrateur méta-diégétique. Son univers est fictif mais il est séparé et au-dessus du monde des personnages.
Pour les épigraphes :
👉 Une épigraphe citant à chaque chapitre une phrase dite au personnage par son père quand il était enfant est méta-diégétique si l’histoire se passe quand il est adulte et que ces épigraphes servent à expliquer le comportement du personnage.
👉 Une citation d’un roman réel en tête de chapitre pour un rappel de thème ou pour s’inscrire dans un courant littéraire est extra-diégétique.
👉 Des statistiques réelles sur les féminicides en épigraphe d’un roman mettant en scène un couple qui s’enfonce dans la violence conjugale sont extra-diégétiques.
👉 Des passages d’un livre sacré de votre univers narratif en tête de chaque chapitre est une épigraphe méta-diégétique.
L’épigraphe est donc par définition soit méta, soit extra-diégétique.
3. Un outil à considérer pour enrichir votre narration
De manière générale, je trouve qu’ajouter des épigraphes en tête de chapitre peut enrichir l’histoire en donnant une dimension supplémentaire au chapitre et au roman tout entier. Elles peuvent vous aider à partager avec votre lecteur des éléments intéressants de votre univers narratif, du passé et des secrets de votre personnage ou à renforcer votre thème et votre message.
Cependant, j’ai déjà vu deux écueils :
👉 La surutilisation des épigraphes avec la même fonction : par exemple, une trentaine (une par chapitre) de citations de romans classiques ou à succès du genre choisi. Le format peut créer une répétition qui fait perdre son intérêt au lecteur, en particulier si la citation n’a pas un lien direct avec le chapitre ou s’il n’y a pas d’évolution notable d’une citation à l’autre.
👉 La rupture du contrat avec le lecteur en cours de route : dans le cas d’un roman de Fantasy, avec des épigraphes méta-diégétiques en tête de chapitre qui racontent l’histoire d’autres personnages, par exemple une légende ou le contenu d’un livre sacré ou d’un manuel de combat, alors ces épigraphes doivent rester à leur place meta-diégétique. En effet, dès le début, le contrat avec le lecteur est qu’il s’agit d’une histoire parallèle, alors il peut le lire plus rapidement ou même le sauter pour commencer le chapitre directement sous l’épigraphe. Si, par exemple, soudain, les personnages de l’épigraphe interagissent avec ceux de l’histoire principale (la diégèse, donc, si vous suivez !), alors le lecteur est perturbé. On ne s’attend pas à ce qu’une action du personnage en épigraphe déclenche quelque chose dans l’histoire. On n’a pas l’impression que les deux histoires se passent sur le même plan ou même dans le même monde.
Mais on peut bien sûr faire des liens entre les deux, par exemple :
👉 avoir la découverte du livre sacré dans l’histoire intra-diégétique et le livre devient alors un objet de l’intrigue principale et la lectrice en connait déjà le contenu.
👉 avoir un personnage qui mentionne une statistique citée en épigraphe dans un dialogue, comme un clin d’œil.
👉 faire lire un livre cité en épigraphe au personnage principal, comme un symbole ou un présage.
En conclusion,
Je pense que les épigraphes peuvent être une manière intéressante d’offrir une expérience de lecture plus profonde au lecteur, mais seulement à condition (comme souvent !) que ce soit bien dosé, pertinent et en respectant le contrat passé avec lui. Le faire « pour le faire » est souvent lourd et le lecteur risque de spontanément les ignorer.
Enfin, la notion d’extraits méta-diégétiques peut également être utilisée pour insérer des passages entiers entre les chapitres ou même au sein des chapitres, mais c’est une autre histoire !
Sources et références
Définition et réflexions sur le concept de « diégèse » : https://penserlanarrativite.net/documentation/bilan-des-notions/diegese
Définition des concepts intra/meta/extra diégétique dans le contexte des jeux de rôles : https://wiki.nonobstant.cafe/fr/Décomposition-du-jdr/Lié-à-la-fiction/intradiegetique
Exemples de type d’épigraphes pour les romans de Fantasy (en anglais) : https://writersfunzone.com/blog/2024/11/18/unlocking-the-power-of-epigraphs-enhance-your-fantasy-novels-world-building/